Designer UI et designer UX : la vérité derrière ces termes barbares

Par , Le 9 janvier 2019 (Temps de lecture estimé : 14 min)

Ce sont les mots à la mode depuis quelques années dans le monde de l’Internet, et plus récemment auprès des entreprises. Mais si vous ne faites pas un peu attention, vous pourriez facilement vous faire avoir par la galvaudisation de ces termes. Je vous propose alors une petite comparaison.

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Image générée par nos soins avec une IA

S’il y a quelque chose qui tend à me faire bondir depuis bientôt deux ans, c’est le nombre croissant de designers UI qui se disent designers UX. D’ailleurs, on peut penser qu’il s’agit du même job, dans la continuité du métier de webdesigner. Et là, ami lecteur, tu as déjà l’impression que je te parle chinois. Mais rassure-toi, ça va bien se passer, je t’explique tout en détail au fil de l’article.

Pour en revenir à ces deux termes, ceux-ci ont beau se ressembler énormément, ils désignent deux métiers proches, mais très différents. Le problème, c’est que la compétence UX est de plus en plus demandée. Pour toute entreprise désireuse de faire monter son site Internet en gamme, il y a alors le risque de parfois s’adresser au mauvais interlocuteur, quand il ne s’agira pas d’un charlatan. Attention, je ne dis pas que les designers à la fois UI et UX sont des charlatans. Il existe des professionnels disposant réellement de la double compétence. Je dis seulement que parmi ceux qui s’en revendiquent, il commence à y avoir un tri à faire. Ready, player one.

Un peu de sémantique

Ne tergiversons pas plus en introduction et entrons dans le vif du sujet. Pour ça, commençons par le commencement, en définissant très rapidement chacun des deux métiers.

UX Designer

Ou dans sa forme longue, User Experience Designer, designer d’expérience utilisateur en français. L’UX designer (qu’on abrègera UX pour le reste de l’article, sans quoi cela va vite me souler) intervient en amont de l’UI (même punition) autant qu’en aval. Pour résumer très sobrement son champ d’action, l’UX va : définir une stratégie, lister les besoins, définir la structure du site, réfléchir à son arborescence et la disposition de son interface, organiser et suivre les tests utilisateurs avec des outils spécifiques (ex. : eye tracking, heatmap), analyser les données de mesure collectées en vue d’améliorer… l’ergonomie du site Internet. Certaines de ces tâches sont accessibles, dans une certaine mesure, à l’UI. Un UX est en fait ce qu’on appelle plus communément un ergonome IHM (Interface Homme-Machine). Ce n’est pas une compétence à la portée de tous, puisqu’il s’agit d’une discipline scientifique de niveau Bac+5, incluant des notions de psychologie, sociologie et j’en passe.

Si l’on s’en tient strictement à la norme ISO 9241-210; l’UX « fournit des exigences et des recommandations relatives aux principes et aux activités de conception centrée sur l’opérateur humain, intervenant tout au long du cycle de vie des systèmes informatiques interactifs. Elle est destinée à être utilisée par les responsables de la gestion des processus de conception, et traite des manières dont les composants matériels et les logiciels des systèmes interactifs permettent d’améliorer l’interaction homme-système. »

Le terme User eXperience a pour origine un dénommé Donald Norman, qui s’avère n’être non pas un designer, mais psychologue cognitiviste. Je laisse donc l’intéressé vous livrer sa passionnante vision de ce qu’est l’expérience utilisateur :

Bref, c’est d’abord de l’ergonomie. Nous sommes tous appelés à faire de l’UX, pour ainsi dire, mais savoir-faire un garrot ou une prise de sang ne fait pas moi un médecin. Inutile d’en dire plus, passons maintenant à l’UI.

UI Designer

Ou dans sa forme longue, User Interface Designer, designer d’interface utilisateur en français. L’UI est l’évolution logique du métier de webdesigner, tandis que le web est arrivé à un certain niveau de maturité. Il n’est pas un graphiste qui fait de jolies choses, mais un designer qui habillera et mettra en œuvre les recommandations de l’UX. Évidemment, dans le cadre de missions pour des TPE/PME, il saura intégrer par lui plusieurs principes de l’UX.

L’UI va également se charger d’harmoniser, de par ses connaissances et sa culture graphique, les éléments de travail fournis par l’UX. Sa culture graphique, sa fibre créatrice et ses connaissances technologiques font sa force. L’UI interviendra sur les choix d’ordre graphiques, tels que la couleur (quand elle ne relève pas d’un choix de l’UX), la typographie, mais aussi, la création de logos, de pictogrammes ou d’icônes. C’est également l’UI qui va décider d’une partie des outils à utiliser pour mettre certaines préconisations en œuvre. Cela sans déborder sur le travail du développeur web, un autre métier versant dans la dimension technologique, mais ne disposant que rarement d’une sensibilité graphique adaptée. En clair : chacun son job.

Vous commencez alors à comprendre que si UI et UX deux sont amenés à travailler main dans la main, qu’il s’agit bien de deux champs de compétences différents.

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Comparatif des approches UX et UI

L’expérience utilisateur, une structure en toile de fond

Les UX considèrent le comment, le pourquoi ainsi que le type d’utilisation qui sera faite du produit final. Cela signifie qu’ils s’appuient sur des données et incluent dans leur réflexion des éléments propres à l’utilisateur tels que : la motivation, les valeurs, les fonctionnalités, l’accessibilité et l’esthétique. Ils accordent la priorité aux personnes et recueillent les informations nécessaires de ce qui pousse les internautes à passer à l’action. L’expérience utilisateur ne se borne pas à ce qui se passe à l’écran, mais englobe parfois tout ce que va vivre l’utilisateur, jusqu’à là où il se trouve. L’UX va donc s’efforcer de comprendre comment l’utilisateur interagit. Voici quelques-unes des tâches de base que les designers UX sont amenés à entreprendre :

  • Comprendre le client et la concurrence : la connaissance du public cible est capitale pour créer une bonne expérience utilisateur. La collecte et l’analyse des données permettent de comprendre ce que veulent les visiteurs. Cela devrait d’ailleurs aller naturellement de pair avec une étude de marché et une analyse de la concurrence.
  • Wireframe et prototypage : une fois que la compréhension de l’utilisateur cible principale est acquis et que le marché est analysé, l’UX peut commencer à réfléchir à des prototypes. Ceux-ci sont dépourvus de toute fioriture et se concentrent uniquement sur les actions de l’utilisateur. À cette étape ce n’est qu’une représentation schématique du produit final, bien qu’il puisse être relativement précis en termes de proportions et de dispositions. La simplicité d’un prototype permet également d’en faciliter l’expérimentation. En rendant le prototype interactif, on peut commencer à tester une idée et obtenir les retours nécessaires.
  • Développement et planification : l’UX est non seulement responsable de la création d’un produit ambitieux et fonctionnel, mais peut également être amené à assurer la gestion de ses objectifs, de ses performances et de son développement. Il est important de mettre en œuvre des stratégies axées sur les performances perçues et réelles pour améliorer une application de façon continue. Un utilisateur doit pouvoir naviguer sans effort dans une page Web ou une application mobile.Par exemple, des temps de chargement plus lents peuvent entraîner des départs inopinés, ce qui affectera l’expérience globale de l’utilisateur.
  • Mesure d’eye tracking et de heatmap : quoi de mieux que des outils permettant d’analyser les déplacements du regard ou de la souris pour analyser l’efficacité d’une information ? Cela permet d’observer les testeurs et d’analyser leurs réactions en les mettant en corrélation avec les données collectées grâce à ces outils.

Bien entendu, l’UI saura lui aussi réaliser ces tâches (j’en sais quelque chose puisque c’est mon cas et que je forme dessus), mais encore une fois dans une certaine mesure. Si cela sera largement suffisant pour le site Internet d’une PME (et c’est sans doute à ce titre que beaucoup d’UI se disent UX), des projets plus complexes nécessiteront un spécialiste.

L’interface utilisateur en tant qu’expérience émotionnelle

Si l’UI peut être amené à réaliser des prototypes sur de petits projets, il partira des travaux de l’UX dès que ce dernier sera partie prenante. Ainsi l’UI se basera-t-il sur les prototypes et données synthétisées par l’UX afin de mettre en application la représentation visuelle qui guidera l’utilisateur. L’UI est responsable de la création d’une page qui soit engageante pour l’utilisateur et va créer et animer un lien entre l’internaute et le produit. Cela passe par un équilibre entre la hiérarchisation visuelle et la conception graphique. Les interfaces utilisateurs doivent donc être conçues avec le plus grand soin afin de capter l’utilisateur. Voici quelques-unes des tâches de base que les designers UI sont amenés à réaliser :

  • Narration visuelle et mise en forme des contenus : pour concevoir une interface efficace et efficiente, l’UI doit intégrer quatre grands principes à son travail. Il s’agit de la clarté, de la cohérence, des attentes des utilisateurs et de la hiérarchie visuelle. Son objectif est de faire en sorte que l’utilisateur apprenne à utiliser le service ou l’application grâce à un ensemble d’éléments visuels. La page se doit également d’être structurée de manière à être attrayante pour l’utilisateur et le maintenir suffisamment engagé pour qu’il revienne à nouveau.
  • L’importance de la marque : l’UI est souvent responsable de la création d’une image globale du produit. Cela signifie qu’il va ajouter sa pâte graphique à l’application ou au site Internet, pour que ces derniers puissent transmettre l’identité et le message de la marque. Les choix des typographies, des images, des couleurs, sont importants dès lors qu’on cherche à transmettre un message. Les utilisateurs captent bien souvent inconsciemment ces nuances, qui vont influencer sur leur perception du produit.
  • Responsive design : pour les néophytes (je rappelle à mes confrères et consœurs que mon blog s’adresse essentiellement à des gens qui ne sont pas du métier), le responsive est la capacité d’un site Internet à s’adapter à tous types d’écrans, allant de l’ordinateur au smartphone, en passant par la tablette. Le responsive webdesign a cet avantage d’éviter d’avoir à développer une version du site pour chaque appareil. Il mise sur l’adaptabilité. Il est privilégié dans la grande majorité des situations, car il a faible coût de développement, apporte un bénéfice à l’optimisation du référencement naturel et améliore la vitesse de chargement. L’UI a donc pour obligation de s’adapter aux usages, aux technologies et aux évolutions pour pouvoir proposer un outil responsive qui soit toujours efficient.

Pour enfoncer le clou

Petit ajout, en date du 2 Juin 2019, suite au thread sur Twitter de Carine Lallemand. Cette dernière est docteur en psychologie et ergonomie cognitive. C’est avec son aimable autorisation que je recopie ici ses propos.

Petit thread pour expliquer pourquoi les « meilleures » formations universitaires actuelles pour devenir #UX côté recherche utilisateur, sont les sciences humaines et sociales. Psychologie, sociologie, ethnographie, ergonomie. Suivies d’un Master UX / IHM / thématique liée. La recherche utilisateur consiste à investiguer et comprendre les besoins des utilisateurs, leurs motivations, attitudes, mais aussi le contexte d’usage afin d’informer la phase d’idéation. Elle est intimement liée à la compréhension de l’expérience humaine.

En sciences humaines / sociales, on apprend les techniques d’enquête et d’observation, l’analyse des données qualitatives et les statistiques. On apprend aussi les théories liées à la cognition, les émotions, l’expérience humaine. Et la déontologie pour travailler avec l’humain. On apprend également certaines de ces compétences dans les écoles et formations en design (avec cependant une approche différente et souvent moins de focus sur la théorie). Formations qui enseignent la créativité et l’esthétique, ainsi que des aspects essentiels de conception

Malheureusement ce ne sont pas des compétences que l’on peut acquérir en quelques heures ou semaines de formation. On peut comprendre les bases bien sûr, mais par exemple mener des entretiens efficaces et non biaisés nécessite une solide formation et des années de pratique. De nombreux UX researchers sont autodidactes certes, et ont pu pour certains développer leurs compétences sur le terrain, s’ils ont bénéficié d’une équipe compétente pour les mentorer et d’une curiosité insatiable pour apprendre de nouvelles choses. Rien n’est donc impossible, et loin de moi l’idée de décourager les personnes les plus motivées. Mais à l’heure où le marché de l’UX sature tout en peinant – de manière contradictoire – à trouver des profils compétents, on doit s’interroger sur les pratiques de formation.

La question la plus  courante sur les réseaux sociaux est : « je souhaite me reconvertir en UX, quelle formation (courte) me conseillez-vous ? » La réponse honnête : il n’en existe pas de courtes. Comprendre et « façonner » des expériences humaines est un métier hautement exigeant. Et malheureusement le panorama actuel de la formation continue ne propose rien de tel. Si vous pensez que telle est votre voie professionnelle, vous devrez être prêts à une véritable reconversion, plus lente et exigeante que l’image de l’UX véhiculée sur les réseaux sociaux. Personne n’aurait l’intention par exemple de devenir chirurgien sans avoir réalisé d’études médicales. C’est un peu caricatural, mais globalement le défi est similaire.

Du côté académique dont je fais partie, c’est évidemment un challenge (pour le moment un échec) de proposer des formats pédagogiques adaptés pour les personnes en reconversion. Et aussi des formations « tout au long de la vie » même pour les personnes expertes du domaine. Car on finit jamais vraiment d’apprendre. L’UX est un domaine jeune, et l’adaptation des méthodes, théories, pratiques dérivées des sciences humaines et sociales, du design, de l’ergonomie nécessite un travail titanesque. Chercheurs et professionnels doivent collaborer. Les problématiques éthiques requièrent également de nouveaux modes de pensée et une certaine forme d’activisme. Notre métier demande réflexion, recul et questionnement systématique. Ici ce sont les philosophes qui ont beaucoup à apporter au domaine.

Il n’y a donc pas de solution de formation miracle en UX pour ceux qui n’ont pas les bases nécessaires. Les formations courtes existantes sont soit de l’approfondissement pour experts, ou – pour les novices – tout au plus des sensibilisations au domaine. À l’heure actuelle, la force des professionnels UX compétents – qui ont ou non une formation de base liée au domaine – c’est d’être dans un état d’esprit d’apprentissage constant et de faire partie d’une communauté dynamique et solidaire.

Chacun son métier, les vaches seront bien gardées

Pour reprendre la métaphore médicale, l’UX est le médecin tandis que l’UI est l’infirmier. Ils parlent tous les deux le même langage, le médecin (UX) a des connaissances dont ne dispose pas l’infirmier (UI), tandis que l’infirmier a une compétence à réaliser des gestes que ne maîtrise pas le médecin. Des blessures courantes ? Un infirmier saura parfaitement gérer la situation en solo. Un cancer ? Une aorte qui a pété ? Là c’est d’abord le boulot du médecin.

J’espère que cet article vous aura éclairé sur les différences fondamentales qui existent entre le design UI et le design UX. Pour conclure, ces deux faux-frères sont des métiers qui vont souvent s’articuler ensemble, mais ils demeurent bien distincts. Autant que peuvent l’être les métiers de carrossiers et de mécaniciens. Les deux travaillent dans un garage sur des véhicules, mais chacun dispose d’une formation qui lui est propre et d’un champ de compétences distinct. Inutile alors d’aller rechercher un mécano si ce dont vous avez besoin relève du redressement de tôle.

Il est probable qu’à terme, ces deux métiers soient amenés à devenir les deux facettes d’une même pièce pour ne former qu’un. Mais n’allons pas croire trop vite, nous les designers UI, que nous absorberons les compétences de l’ergonome IHM : si nous n’acceptons pas de rester à notre place et de respecter la limite qui est la nôtre, alors rien n’empêchera les ergonomes IHM de se revendiquer designers UI pour finalement en faire petit à petit une composante à part entière de leur métier. Pas certains que le design UI en sorte gagnant.

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Sébastien DROUIN

Consultant en communication croisé zèbre, designer graphique, ingénieur de formation, AI prompt engineer. Je mange des IA au petit déjeuner et je permets aux entreprises de multiplier leurs ventes grâce au web 🤖

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